Hélène Henry-Safier à propos d’elle : « Je suis issue d’une famille littéraire. Mon père a commencé très tôt à écrire de la poésie, avant la Première Guerre mondiale il a publié plusieurs recueils. Au début, il a travaillé comme journaliste, puis il a enseigné à l’école, tout comme sa mère. Nous avions beaucoup de livres à la maison, principalement de la poésie. Mon père publiait un petit magazine de poésie sur son imprimerie familiale, alors je suis entré très tôt dans le monde de la littérature, j’ai eu le sentiment que c’était le mien »… A l’école, les sciences naturelles étaient faciles pour moi, puis j’ai suivi un cours en biologie — c’est ma deuxième vocation, insatisfaite, mais aussi très importante. Je n’étais pas attiré par les mathématiques, mais par la biologie — par tous les êtres vivants… Ma mère a vécu à Lyon dans sa jeunesse et était amie avec des émigrés de Russie, ils étaient nos voisins. L’amie de ma mère s’appelait Elena, et j’ai été nommé d’après elle. La deuxième chose qui a influencé ce plan : à l’âge de quatorze ans dans la bibliothèque de mon père, j’ai pris «Crime et Châtiment» en français. Dans une très mauvaise traduction, tout simplement effrayante, dans cette édition en deux volumes, le nom du traducteur n’était même pas indiqué, mais j’ai été abasourdi par ce livre, j’ai vécu un choc littéraire. Et la troisième raison, peut-être pas la plus importante, mais c’est ainsi que j’ai eu l’opportunité d’en venir à la langue russe. Dans la ville de Caen, en Normandie, où j’habitais, il y avait une colonie d’émigrés de Russie, et un cours de russe y était ouvert. Les cours avaient lieu le soir, une fois par semaine, beaucoup de gens venaient à la première réunion. C’était déjà à la fin de l’école, j’avais dix-sept ans. Puis le nombre de personnes a diminué, et à la fin j’étais presque le seul…. Je suis diplômé du département classique «École normale supérieure» et suis passé au russe. A l’école classique, ils ont été surpris de ma décision : «Tu vas faire une magnifique carrière d’antiquaire, pourquoi partir ? ..» s’est retrouvée dans le département russe de la faculté de philologie de Léningrad. Nous vivions dans la deuxième auberge de l’île Vassilievski. «
Hélène Henri, depuis 1975, a traduit les œuvres de O. Mandelstam, B. Pasternak, M. Tsvetaeva, I. Brodsky, incluses dans la collection «Anthologie de la poésie russe contemporaine», ainsi que L. Rubinstein, V. Krivulin. Maître de conférences à la Sorbonne, à l’Institut supérieur de la traduction (Bruxelles) et au Centre national du livre de Paris. Elle est également coprésidente du Comité russe du Centre international Antoine Vitez de traduction théâtrale. Lauréat du Prix de Rusophonie 2013 pour le livre biographique Boris Pasternak, compilé par D. Bykov.

 

 

* * * *
Oh, comme en secret se serre le cœur,
Quelle insensée et perfide mort
Exsude la honte du siècle vingtième !
Il n’est plus ni homme si sage.

Droit d’on ne sait quel désert, droit
Issu de l’enfer, souffle un simoun fétide,
Car aucune âme en notre monde
Ne se souvient que le Genre humain

Fut banni du Jardin – et partout les ténèbres.
L’un se divertit, l’autre voit sa perte.
Et ce relent ténu d’âme pourrissante,
Comme si quelqu’un nous ployait l’échine.

Oh, j’aurais bien brisé tout lien avec les autres,
De tous je me serais pour toujours détourné,
Mais – des hommes, nous ? – non, du passé les ombres,
Et personne n’a tressailli, personne.

7.12.2000

О, как потайно сжимается сердце,
Как от позора двадцатого века
Веет бессмысленной каверзой смерти!
Ни мудреца, ни человека.

Прямо пустыня какая-то веет
Затхлым самумом прямо из ада.
И ни одна ведь не разумеет
В мире душа, что изгнан из сада

Род человеческий – всюду потёмки.
Кто услаждается, кто погибает.
И запашок душетления тонкий,
Будто хребет нам кто-то сгибает.

Эх, порешил бы все связи со всеми
И навсегда ото всех отвернулся,
Но ведь не люди мы – прошлого тени
И ведь никто так и не встрепенулся.

L’OISELET

Un frêle oiselet de la nuit,
Invisible, a chanté soudain.
L’âme chagrine, l’âme obscure
Alors a vibré – elle aussi
Jadis avait été chantante.
Le cuivre depuis s’était tu.
L’oiseau est venu réveiller
Tout ce qui étreignit le cœur –
L’ouïe printanière et l’effroi.
Mais que l’oiseau cesse son chant
Et les ténèbres du Léthé
Rentreront en moi, me rendant
A mon goulag psychiatrique.
Et sombre je redeviendrai
Tel jadis le Job de la Bible…
Mais joyeux, attentif, l’oiseau
Conte l’histoire du printemps.
Et l’âme derechef tressaille.
Bientôt paraîtra un bel œuf
Et la vie semblera peut-être
Bonne, du moins pour un instant —
Finie, la peine mortifère,
Et l’impériale Neva,
Comme contre le quai la barque,
Secouera ma douleur pesante –
Les pensées nocturnes de Job.
Peut-être même que l’émoi
Viendra m’envahir. Mais silence !
On risque d’apeurer la joie,
Et de laisser s’évader loin
L’oiseau chantant. Il ne faut pas !
On verrait revenir la peine
Et, la nuit, un silence qui
Endort, comme l’indifférence.
Mais le frêle oiseau a chanté,
Et l’âme a retrouvé sa voix.
Demain l’odeur de l’aubépine
M’éveillera. Près de chez moi
J’ai vu s’épanouir la joie.
J’ai lu : la vie est éternelle.

2000

ПТИЧКА

Вот птичка малая, ночная
Невидима, запела вдруг.
Душа печальная, глухая,
Тут встрепенулась – тоже ведь
Когда-то певческой была.
С тех пор молчит былая медь.
Теперь хоть птичка взволновала
Всё, что на сердце разом пало-
И слух весенний и испуг.
А ну как птичка петь не будет
И снова залетейский мрак
Войдёт мне в душу и разбудит
Психиатрический гулаг.
И снова стану я несчастным,
Каким когда-то Иов был…
Но птичка весело, с участьем,
Весны рассказывает быль.
И встрепенулась вновь душа.
А скоро – красное яичко
И жизнь, быть может, хороша
Покажется хотя б на время-
Пройдёт убойная печаль,
Невы владычественной стремя
Качнет как лодку о причал
Мое тяжёлое томленье-
Все мысли Иова в ночи.
Быть может, даже умиленье
Меня коснётся. Но молчи!
Спугнуть, пожалуй, радость можно
И птичку певчую тогда
Уже пропустишь. Невозможно!
Всплывёт томленье и года,
И усыпительная ночью
Как безучастье – тишина.
Но птичка малая запела-
Душа свой голос обрела.
А завтра запахом черемух
Разбужен буду. Я застал
Цветенья радости у дома.
Жизнь будет вечно – я читал.

* * * *

Au ciel s’accomplit un mystère,
On entend voler un avion lointain,
La neige tombe emmitouflant les toits,
Un ange en secret chante Dieu.

Quelqu’un dans l’ombre éteint la lumière
Et s’abîme dans l’étreinte d’amour,
Le silence se fait, l’âme observe :
Les Parques filent des bribes de destin.

Le cœur est attentif au secret que chante
L’ange dans le silence et la nuit,
Du ciel gicle une lumière non fortuite,
L’époux dans l’amour enlace l’épouse.

Au ciel en silence l’heure nocturne
A trouvé le secret d’amour et de révélation.
Le jour les planètes en feront l’annonce,
Et en attendant je suis bien.

Dans le ciel librement vole un ange,
Pensif et silencieux, il voit :
Au ciel vit un Mystère éternel,
Et dans le cœur du poète nocturne

Vient se poser un poème secret.
Un ange en secret chante Dieu,
La vie fait tourner la planète vive,
Le silence garde en éveil la conscience.

Et dans le cœur vit la révélation,
Il entend Dieu dans la nature,
La mort est loin infiniment.
Les Parques filent leur quenouille.

2001

Что-то тайное в небе вершится,
Слышно: дальний летит самолёт
Снег на крыши попоной ложится,
Ангел тайно о Боге поёт.

Кто-то свет в темноте выключает
И уходит в объятья любви,
И душа в тишине замечает:
Парки вяжут обрывки судьбы.

Сердце слушает ангела тайну,
Что поет он в ночной тишине,
С неба брызжется свет неслучайный,
Муж в соитии прижался к жене.

В небе тайна любви и наитья
Час ночной тишиною нашел,
Днем объявят планеты событья,
А пока – на душе хорошо.

В небе ангел свободный летает,
Видит он, и задумчив и тих,-
В небе вечная тайна святая,
И приходит таинственный стих

Прямо в сердце ночному поэту.
Ангел тайно о Боге поет,
Жизнь вращает живую планету,
Тишь сознанью уснуть не дает.

И творится наитие в сердце,
Бога слышит в природе оно,
И далёко-далёко до смерти.
Парки крутят веретено.

****
Resurgissent les souvenirs,
La vie toute entière, vivante, vécue.
J’entends chanter des anges : on dirait
Les portes du Paradis ouvertes.

Je voudrais mourir maintenant.
J’ai tout éprouvé. Quoi de plus ?
Mais il est trop tôt. La mort tarde.
Je n’ai pas joué tous mes rôles.

Ma vie se dresse devant moi.
Et je pleure, quittant la vie,
Une vie mienne déjà autre…
Je la découvre… En elle rien

De mesquin. Arrière, profanes !
Je pleure, la vie est finie.
Je réentends d’Anna ma mère
Le soprano. Ah, quelle voix !

La reverrai-je un jour, me dis-je ?
Oh, comme la mort est obscure !
Je pourrais être égal à elle,
Mais devant moi la mort – un mur.

Qu’y a-t-il après ? Sais-je bien ?
Non bien sûr. Cela me rend triste.
Peut-être un portail ou une arche ?
Comment comprendre tout cela ?

J’ai bu ma bière. Je suis triste,
Tranquillement j’allume un clope.
Je noie mon cœur dans le Léthé.
Ce que je ne sais pas, amer,

Je l’énonce en langue française.
Et toute ma vie me revient,
Et je m’écrie alors en russe :
Amis, comme je vous aimais !

Je dis adieu. Et quoi de plus ?
Une bière ? Une cigarette ?
Je n’aurai pas joué mon dernier rôle,
Je suis sur le seuil de l’éternité.

Et la musique du français
S’attriste en moi. Finie, la vie.
Et la Nevka avec la bière
Coulent sans rien qui soit mesquin.
2008

Воспоминания встают,
Вся жизнь живая, прожитая.
И слышу: Ангелы поют
Как при дверях открытых рая.

И мне бы нынче умереть.
Я слышал все. Чего же боле!
Но рано. Не приходит смерть.
Ещё не все сыграл я роли.

Вся жизнь встает передо мной.
И плачу я, прощаясь с жизнью,
Уже присущей мне иной…
Знакомлюсь я… И дешевизны

В ней нет. Падите прочь, профаны!
Я плачу, ибо жизнь прошла.
Я вспоминаю мамы Анны
Сопрано. Как она могла!

Уже ли встречусь с ней, однако?
О, до чего же смерть темна!
Я был бы с нею одинаков,
Но смерть передо мной — стена.

И что за ней? Уже ли знаю?
Конечно, нет. И вот грущу.
Быть может, арка там сквозная?
О, как я это все вмещу?

Я выпил пиво. Сигарету,
Грустя, спокойно закурил.
И сердце окунул я в Лету.
И с горечью проговорил

Чего не знаю по-французски.
Вся жизнь мне вспоминалась враз.
И я сказал тогда по-русски, —
Друзья, о, как любил я вас!

Теперь прощаюсь. Что мне боле?
Я выпью пиво. Закурю.
Я не сыграл последней роли,
При дверях вечности стою.

И все французская попевка
Грустит во мне. Прошла ведь жизнь.
И с пивом протекает Невка
Уже без лишних дешевизн.

 

 

© Henry-Safier Hélène, 2018
© Из русской поэзии XXI века.YMCA PRESS/ Готовится выйти в свет
© НП «Русcкая культура», 2019