Lejeune Boris (Paris) — un artiste, un poète. Il est né en 1947 à Kiev. En 1974, il est diplômé de l’Institut. Repin (Académie des Arts) à Leningrad dans la classe de sculpture. Membre de l’Union des artistes de l’URSS. En 1980, il a émigré en France. Lauréat du prix «Expression-sculpture» (1983). Sa petite sculpture urbaine orne de nombreuses villes de France et du Luxembourg, dont le boulevard Pereire à Paris. L’auteur de trois collections de poésie et tandis que le seul livre en russe «Miroir des heures: l’équilibre inégal».

 

 

L’esprit humain, par nature, est sans doute capable de se refléter. Il englobe, en vertu de son immatérialité, l’existence et la retourne à lui-même sans cesse. La poésie est la plus proche expression de cette capacité de l’esprit et, bien sûr, elle est sa première manifestation esthétique. Dans la poésie, la capacité naturelle de l’esprit de transfigurer l’interne en l’externe prend la forme de spiritualisation. Au moment de l’action poétique advient l’enroulement de la langue au sein d’elle-même, une sorte d’expansion de son champs vers l’extérieur, ce qui provoque une tension raisonnable.

En conséquence du processus d’alchimie des mots – le poème (vers), étant une certaine pierre philosophale, absorbe l’énergie de l’esprit comprimé par l’autoreconnaissance. Comme la pierre jetée dans l’eau, il répand par les cercles d’ondes les lignes-cris à l’auditeur-lecteur prévu.

Chaque personne est un poète potentiel, il y en a des ressources cachées de la poésie, et peut-être ne sera pas extrême à dire qu’Adam est le premier poète comme le premier homme qui a donné les noms aux ceux qui vivaient à côté de lui dans le monde.

L’acte poétique est universel. La poésie a accompagné l’homme dans toute son histoire et est connue de toutes les nations de la terre. L’homme de cavernes, un artiste animalier avec une grande capacité de pénétrer dans la faune environnante, exprimait (et avec quelle poésie!) la coexistence, – coesse1. Le philosophe belge Marcel de Corte explique: « Coesse, qui rassemble l’être le plus près de lui, la bête, le bison têtu et fort comme lui et le cerf agile et timide comme lui »2. La poésie se trouve dans l’exactitude et la fluidité des contours des chasseurs et des bêtes qui ont vécu près du premier artiste-poète. La dépeinte relation cosmique des parties du monde avec l’entier, c’est comme un seul éclair puissant, qui est le poème, qui éclaire et donne un sens à la vie.

Deux grands grecs, Platon et Aristote, étaient d’accord: le temps se résume à un instant. Rien que l’instant d’Aristote, nun, a le caractère de « maintenant », et l’exaiphnaés de Platon est une transition de « ce » dans « l’autre »; de l’existant dans l’inexistant.

Saint Augustin, avec la présence de la conscience chrétienne de l’importance de l’individu, appelera l’instant « le maintenant de mon âme ». Pour le philosophe russe Iakov Drouskin « l’instant est incertain, son début est imperceptible, sa fin est perdue ». Dans son essai « Du temps », écrit dans les années 1930, au fort de la répression stalinienne, au cours de laquelle ses amis proches, les poètes, ont perdu leur liberté, le philosophe dessine une ligne de démarcation nette entre l’événement et l’instant: « En maintenant, il n’y a aucun événement. Maintenant est un instant. Mais les événements sont dans le passé, leur place est dans la mémoire ». En mémoire, des instants sont connectés, des événements sont nés ou renés, « les événements, le temps, la mémoire et la mort sont liés à la connexion des instants ».

Le temps dans la poésie est instantané, comme en effet dans la musique, dans la sculpture, dans la peinture, dans l’architecture.
Oleg Okhapkin nous a quittés récemment, lorsque le temps est mesuré sur une échelle de temps poétique, d’éternité de moment. Mais sa voix, si pur et mélodieux, est entendu de plus en plus clairement, en écho aux grands écrivains collègues.

Dans le poème célèbre par Boris Pasternak « La nuit d’hiver », un de cycle de poèmes qui couronnent le roman « Le Docteur Jivago », comme sur un mur lointain avec des peintures préhistoriques, se sont traversées et croisées les ombres des destins de l’écrivain et de ses héros et héroïnes, réels et fictifs, de deux destins éclairés par un amour instantané :

На озарённый потолок
Ложились тени,
Скрещенья рук, скрещенья ног,
Судьбы скрещенья…

Oleg Okhapkin entrecroise et entrelace dans un seul tissu d’amour des événements apparemment occasionnels, comme le survol de l’avion et la neige qui tombe, avec la volonté du ciel « non occasionnel ». Ainsi, il explique l’unité de deux destins humains. S’envoler si facilement sur le strophes composées si simplement dans les hauteurs cosmiques, c’est donné uniquement à ceux qui ont des ailes puissantes et larges :

Что-то тайное в небе вершится.
Слышно: дальний летит самолёт.
Снег на крыши попоной ложится,
Ангел тайно о Боге поёт.

Кто-то свет в темноте выключает
И уходит в объятья любви.
И душа в тишине замечает —
Парки вяжут обрывки судьбы.

Сердце слушает Ангела тайну —
Что поёт он в ночной тишине.
С неба брызжется свет неслучайный.
Муж в соитье прижался к жене.

В небе — тайны любви и наитья.
Час ночной тишиною нашёл.
Днём объявят планеты событья,
А пока на душе хорошо.

В небе Ангел свободный летает.
Видит он — ты задумчив и тих.
В небе вечная тайна святая,
И приходит таинственный стих

Прямо в сердце ночному поэту.
Ангел тайно о Боге поёт.
Жизнь вращает живую планету.
Тишь сознанью уснуть не даёт.

И творится наитие в сердце:
Бога слышит в природе оно.
И далёко, далёко до смерти
Парки шепчущей веретено.

Au Moyen Age, et surtout à la Renaissance, l’idée gnostique a été développé, qui a influencé pendant des siècles un certain nombre de penseurs, parmi eux Jakob Böhme, Nicolas de Cues, Schelling, Martin Buber, Walter Benjamin… C’est l’idée que Dieu, en créant le monde, se comprime, passe au dedans de lui-même et laisse ainsi la place au monde. Cet acte est comparé au concept chrétien de « kénose », le rabaissement de Dieu; la contraction (contractio) de Nicolas de Cues. Il est semblable à l’action d’une personne qui collecte et comprime son souffle.

Cet acte est absolu, comme l’allure du monde dans son expansion constante, remplissante la place libérée. Les théories cosmogoniques modernes (l’augmentation de l’univers, le Big Bang original) nous rappellent la vision gnostique. Selon elle, l’espace tridimensionnel visible est la place, la trace du monde, qui, vivant dans un développement constant, dans la naissance, a horreur du vide. Comment cela se rapporte-t-il à la poésie?

Si nous sommes d’accord avec le fait que la parole poétique est l’une des premières expressions de l’homme, alors nous pouvons entendre l’écho de l’allure du monde. Le prêtre Paul Florensky dans son article « La Parole Magique » pointe vers la fonction magique de la parole dont la signification est déterminée par le sémème. Ce terme signifie « concentration, condensation de l’Esprit », concentration en soi, sema in statu nascendi3. Il compare l’essence de la parole, sa structure avec le filet de vis. Le temps impose ses couches-filets, et sur elles, la notre conscience est capable de visser, de s’immerger en profondeur. Ainsi, le mot poétique appelle, hume et ensuite règle. Parole en tant que conducteur. Le bruit cosmique se fait entendre à travers elle, il fait écho au son des racines.

La parole est infinie dans sa capacité à partager et à se multiplier. Il suffit de dire le mot « forêt » pour que des images d’arbres, de plantes, d’oiseaux, d’insectes, la suite de villages voisins vous traversent l’esprit…

La parole poétique est illimitée et dans son pouvoir d’affirmation – « qu’il en soit ainsi » (ita fiat – lat.) accompagne l’augmentation constante du monde. « Oui » est une racine invisible, la base de tous les mots. Toute manifestation de l’art authentique n’est pas une démonstration du soi-disant « visible » phénoménologique, d’une sorte de fantôme. C’est une exclamation instantanée, une explosion de joie devant l’acte polyphonique de la création.

La vie d’Oleg Okhapkin était pas simple, plutôt tragique dans l’Union Soviétique mourante, mais avec quelle force s’est exprimée dans sa poésie la joie de co-être avec tout et avec tout le monde dans la Création! Son vers s’amplifie à l’unisson avec le monde, étant réel, terrestre et, en même temps, mystérieux, comme toute grande œuvre :

Прекрасна белая сирень,
лиловая сирень обычна,
Сегодня жаркий будет день,
страдать от жара уж привычно.
Поёт залётный соловей,
он щёлкает, и радо сердце,
Хмельного пива мне налей,
к шести утра взойдёт и солнце.
Тогда обедню запоют,
с березкой придут прихожане,
Всю ночь младые пиво пьют,
а я всю ночь стихами занят.
Звенят в округе воробьи,
далёко каркает ворона,
Опрятные стихи мои
мне перед жизнью оборона.
Я пиво пью, пишу стихи
И, благодарный, созерцаю
Сирень. Простятся мне грехи,
с надеждою в кимвал бряцаю.
И от избытка говорят
Во мне душа, и в теле сердце,
И окна там в огне горят,
И полшестого всходит солнце.
И хвалят бога воробьи,
Дыханье птички хвалит Бога,
И образ Троицы стоит
Во храме. Мне туда дорога.

Dans l’esthétique du postmodernisme, les mots se noient sans retour, tombent dans l’abîme du temps. Cela entame la confiance de l’homme à la langue. Les mains baissées, dans un équilibre instable, l’homme moderne se tient au bord de l’abîme de tout ce qui est relatif. C’est le royaume du mot « non ».

Dans « Le Livre de la Création », un court poème attribué au patriarche Abraham, la langue est visualisée sur l’écran de l’air originel en train de créer des lettres et dix figures. Se combinant à l’infini, ils deviennent des choses, des formes de vie, préservant leur essence. Dans ce livre, il n’y a pas de place pour l’intervalle entre le mot et ce qu’il signifie. C’est dans le désir incessant de surmonter l’absurdité de l’existence que la langue ouvre la voie aux plus profonds secrets de l’être.

Sur l’écran de veille, la peinture de Boris Lejeune «La mer»

 

© Boris Lejeune
© «Lectures d’almanach Ohapkin» № 1, 2015 (en Russe)
© «Culture russe», 2018